À 24 ans, Lucie vit avec un handicap lourd, des douleurs chroniques et des diagnostics médicaux en cascade. Mais ce que le commun des mortels appelle « obstacles », elle les transforme en décors miniatures, en ambulances répliquées à la perfection et en hôpitaux de plastique. Bienvenue dans l’univers d’une jeune femme hors du commun, où les Playmobil deviennent plus qu’un jeu : un cri de vie.
L’hôpital comme terrain de jeu
Dans un monde où le moindre incident de santé est source d’angoisse, Lucie a trouvé le moyen de réinventer l’hôpital… en Playmobil. Oui, vous avez bien lu. Pendant que d’autres se maquillent à l’adolescence, elle demandait des figurines à collectionner. Pendant que certains redoutent les urgences, elle en recrée chaque détail, jusqu’au gyrophare. C’est toute la force de Lucie : sublimer la contrainte, réinventer le quotidien et bâtir, pièce après pièce, un univers qui lui ressemble. Un univers où la maladie n’efface pas le sourire, où la douleur se colore de résilience, et où un simple personnage miniature peut redonner espoir.
Une vocation née dans la douleur
Tout commence à Drusenheim, paisible village alsacien, où Lucie vit avec sa famille. À l’aube de sa rentrée en sixième, une hospitalisation ordinaire vient tout bousculer. On suspecte une appendicite, on découvre finalement un syndrome d’Ehlers-Danlos hypermobile, une maladie génétique rare qui fragilise les tissus conjonctifs. Le diagnostic tombe comme une enclume. Les années suivantes ne seront qu’une succession d’épreuves médicales, auxquelles viendront s’ajouter en 2017 des dystonies, troubles moteurs invalidants.
« Lucie, elle ne se plaint presque jamais »
Et pourtant, derrière ce tableau clinique redoutable, se dessine une personnalité solaire. Lucie est indépendante, imaginative, incroyablement persévérante. « Elle ne se plaint presque jamais » raconte sa famille. C’est dans ce silence que s’exprime son courage : pas besoin de mots pour incarner la force. Très tôt, Lucie trouve un exutoire inattendu à ses souffrances : une boîte Playmobil achetée après un rendez-vous médical. Un détail marquant ? La figurine représentait une femme en fauteuil roulant.


De l’hôpital réel aux hôpitaux miniatures
Ce jour-là, une passion s’éveille. Les Playmobil deviennent plus qu’un simple divertissement. Ils prennent une place centrale dans sa vie. Lucie ne collectionne pas, elle compose. Elle construit des scènes, imagine des scénarios, démonte, repeint, transforme. Un véhicule cassé devient, sous ses mains, une ambulance neuve et crédible. Ses dioramas sont criants de vérité, nourris par son vécu, ses soins, ses urgences.
Deux thématiques dominent ses créations : les hôpitaux et les pompiers. Rien d’étonnant. Pour Lucie, ces univers sont intimement liés à son propre parcours, à ses sauvetages, à ses moments critiques. En recréant l’environnement qui l’a tant fait souffrir, elle en reprend le contrôle. Elle y trouve une forme de thérapie, mais aussi une manière unique d’exprimer ce que son corps parfois ne peut plus dire.
Parmi ses réalisations les plus impressionnantes se trouvent des VSAV customisés (les Véhicules de Secours et d’Assistance aux Victimes), un Dragon 67 minutieusement reproduit. Chaque détail compte. Rien n’est laissé au hasard. Lucie ne fait pas les choses à moitié, même dans les petits mondes.
Un combat quotidien
Le quotidien de Lucie n’est pas celui d’une jeune adulte lambda. Depuis son retour à domicile en 2019, elle est prise en charge 24 heures sur 24 par sa famille. Chaque matin est une incertitude : forme olympique ou douleurs extrêmes, voire crises sévères. Une routine impensable pour la plupart d’entre nous, rythmée par les rendez-vous médicaux à Strasbourg, Nancy ou Paris, et une logistique médicale lourde.
« On ne sait jamais comment elle va se réveiller »
Orthophoniste, kiné, ergothérapeute, médecin rééducateur, cardiologue, ophtalmologue, neurologue… La liste est interminable. Et dans tout cela, Lucie garde le sourire. Elle compose. Elle crée. Elle vit. « On vit au jour le jour », explique sa mère. « On ne sait jamais comment elle va se réveiller. » Pourtant, la famille refuse l’apitoiement. Ce n’est pas le handicap qui définit Lucie, mais la lumière qu’elle en extrait.
Vaincre le coma pour une exposition Playmobil
En mai 2024, la santé de Lucie bascule à nouveau. Une balade en fauteuil roulant, son fidèle chien d’assistance Taho à ses côtés, se termine brutalement par une crise d’épilepsie en pleine rue. Le diagnostic est sans appel : état de mal épileptique, coma de cinq jours.
Et pourtant, une exposition Playmobil l’attend. Elle le sait. Elle en parle à l’équipe médicale, leur répète qu’elle doit être là. Et elle y sera.
À peine une semaine après son retour à domicile, Lucie se rend à Herrlisheim, pour l’exposition organisée par son groupe « Générations Playmo Elsass
67/68 ». Elle y tient un stand pendant trois jours. Fatiguée, affaiblie, certes. Mais présente. Soutenue par toute sa communauté de passionnés, qui l’a épaulée et même proposée d’exposer ses créations en son absence. Preuve que cette passion a créé bien plus qu’un hobby : un vrai réseau solidaire, un cocon bienveillant, rare et précieux.
Une passion devenue engagement bénévole
Aujourd’hui, Lucie ne se contente plus de créer. Elle s’investit. Elle est secrétaire bénévole de l’association. Elle participe aux réunions, assiste aux événements, sort même parfois en Allemagne si sa santé le permet. À travers ces engagements, elle retrouve une place, une utilité, une reconnaissance. Son handicap ne la définit pas, il cohabite avec sa passion.
Ce qui frappe, c’est la sincérité avec laquelle son entourage parle d’elle. Pas de faux-semblants, pas de discours édulcoré. Lucie souffre. Lucie vacille. Mais Lucie est là, et chaque jour elle se relève. Pas pour faire l’exemple, mais parce que c’est ce qu’elle est.
La vie en version Lucie
L’histoire de Lucie n’est pas une leçon de vie, ce n’est pas non plus une réclame pour le courage. C’est le témoignage brut, tendre et inspirant d’une jeune femme qui, malgré un parcours médical lourd, a choisi de construire. Pas des murs, non, mais des scènes. Des vies miniatures. Des urgences maîtrisées. Des pompiers aux ordres. Un monde où elle n’est pas patiente, mais créatrice. Où tout ce qui la blesse devient source de beauté.
Sa famille le dit sans détour : « Le handicap est là. Il pèse. Il coûte. Il épuise. Mais il n’éteint jamais la lueur au fond du tunnel. » Et cette lueur, chez Lucie, a la forme d’un petit personnage en plastique, sourire figé et blouse blanche, prêt à intervenir.
Une preuve que parfois, les plus grandes batailles se gagnent en miniature.